PALI (LANGUE ET LITTÉRATURE)

PALI (LANGUE ET LITTÉRATURE)
PALI (LANGUE ET LITTÉRATURE)

Le p li est la langue des anciennes Écritures du bouddhisme méridional, aujourd’hui encore pratiqué à Sri Lanka et dans les pays occidentaux de la presqu’île indochinoise: Birmanie, Laos, Thaïlande, Cambodge (Kampuchea). C’est une langue littéraire, composite, de type haut moyen-indien occidental, qui cependant intègre un assez grand nombre de formes orientales («magadhismes»). Au reste, «p li» signifie d’abord «ligne», «norme»; par suite, le «texte» sacré du canon; c’est à partir du XVIIe siècle qu’on voit le terme appliqué à la langue du vaste corpus que constituent les Écritures canoniques des bouddhistes therav din, de leurs commentaires et des traités qui s’y rattachent.

La littérature, extrêmement abondante, comprend d’abord le canon, puis une masse paracanonique très diversifiée. Le canon est constitué «de trois corbeilles» (Ti-pi レaka ) dont les autres sectes bouddhiques ont des parallèles plus ou moins proches: celle des «textes», celle de la «discipline», celle de la scolastique. C’est à la première qu’appartiennent les œuvres p li les plus célèbres, littérairement les plus savoureuses: Dhammapada et, plus encore, J taka. La littérature paracanonique comprend une énorme quantité de commentaires (ceux de Buddhaghosa, Ve siècle, ayant une autorité quasi canonique), de sous-commentaires, etc., des traités techniques, notamment sur la grammaire, ainsi que des chroniques en vers, influencées par la poétique sanskrite.

Toute cette littérature a été connue, commentée, enrichie, dans la péninsule indochinoise, particulièrement en Birmanie, après le Xe siècle. Les Môns ont même utilisé le p li à des fins, pour ainsi dire, profanes: dans l’élaboration de leurs codes de lois et dans la constitution d’anthologies de «belles paroles». L’œuvre qu’ils ont accomplie a été connue – et partiellement adaptée – par leurs voisins du Laos, du Siam, du Cambodge. Les langues de cette région ont d’ailleurs emprunté au p li une part non négligeable de leur vocabulaire.

1. La langue

Jalons historiques

Les Occidentaux appliquent le nom de «p li» (proprement: «texte») à la langue des anciens livres du bouddhisme méridional, conforme à la «doctrine des doyens» (therav da ). Dans l’effort d’approfondissement, de systématisation, de diffusion des Écritures – les seules Écritures bouddhiques qui nous soient parvenues en entier –, le p li a été l’instrument linguistique essentiel: de là son importance dans la civilisation de l’Asie du Sud et du Sud-Est.

Le p li est une langue littéraire, composite, qui, à Sri Lanka, depuis plus de vingt siècles, a été employée à des fins religieuses ou parareligieuses. Bien qu’elle ait subi des éclipses au cours de l’histoire, des auteurs singhalais du XXe siècle s’en sont encore servi avec profit; on la trouve couramment utilisée en Birmanie, au XIXe siècle, dans les traités d’érudition bouddhique; on sait que les rois de principautés singhalaises la choisissent pour rédiger, à l’intention de souverains de Birmanie (au XIIIe s.) et de Siam (au XVIIIe s.), les lettres où ils leur demandent l’envoi à Sri Lanka de missions de bonzes. Le prestige de cette langue est d’ailleurs tel qu’il paraît bon aux missions chrétiennes à Sri Lanka d’éditer une traduction p li du Nouveau Testament (1835, Wesleyan Mission Press).

Bien qu’il ne soit pas possible de fixer exactement les débuts du p li, on peut les tenir pour antérieurs au IIIe siècle avant J.-C. C’est entre cette époque et les environs de l’ère chrétienne que pourrait avoir été compilée la plus grande part des œuvres recueillies dans le canon. Les chroniques singhalaises relatent que, après une longue période de transmission orale, il a été mis en écrit par un synode de religieux réunis à l’ loka-vih ra, temple rupestre dans la province centrale de Sri Lanka: ceux-ci auraient travaillé quelque douze ans à la rédaction de ces livres en p li (avec commentaires en vieux singhalais). Ce fut là une «démarche capitale», comme le dit E. Lamotte, qui la situe vers l’an 35 avant notre ère.

Après un temps de déclin, la langue connaît un nouvel essor aux environs du Ve siècle après J.-C., siècle de la traduction en p li des commentaires vieux-singhalais. Elle est alors enrichie, assouplie, normalisée. Une nouvelle renaissance débute vers le Xe siècle pour s’affirmer vers le XIIe ou XIIIe siècle, à la faveur d’importants travaux d’exégèse et de grammaire: le p li est soumis à une normalisation accrue, tandis que s’accentue l’influence du sanskrit. C’est l’époque où, à son tour, la Birmanie se familiarise avec la langue p li, qu’elle n’utilisera pas seulement à des fins religieuses et qui sera l’un des facteurs de son unité. La littérature en p li se répandra dans les populations thaïe et khmère, si bien que les langues mêmes des pays occidentaux de la péninsule indochinoise emprunteront au p li une part non négligeable de leur vocabulaire.

À Sri Lanka, cependant, bien que le singhalais moderne fût constitué vers le milieu du XIIIe siècle et apte à l’expression littéraire, la connaissance du p li subsistait. Toutefois, l’aggravation des difficultés politiques s’accompagne d’une récession générale, peu propice à la vie intellectuelle: celle-ci régresse régulièrement, d’autant que, à Sri Lanka, elle avait eu de tout temps pour foyer les communautés de bonzes, qui étaient soutenues par les dynasties nationales.

Le déclin amorcé se précipite au XVIe siècle, avec l’arrivée des Portugais, la propagande chrétienne, les persécutions dont sont victimes les bouddhistes, la destruction de leurs monuments et de leurs écrits. Alors, les couvents bouddhiques se replient autant que possible sur eux-mêmes. Au XIXe siècle, cependant, stimulée, d’abord indirectement par des missionnaires, puis par d’éminents fonctionnaires britanniques, la renaissance bouddhique s’affirme: le bouddhisme se fait militant, au point que le novice Gu ユ nda défie les missionnaires chrétiens dans des débats publics. La controverse la plus fameuse, qui se tint à P nadura durant toute une semaine d’août 1873, s’acheva, au dire des Singhalais, par la victoire triomphale du jeune moine: elle déchaîne l’enthousiasme des bouddhistes, elle les encourage à reprendre l’étude de leur religion et des langues dans lesquelles elle s’était exprimée. De là date la fondation d’écoles (en juin 1874, le Vidyodaya Parive ユa), qui allaient prendre la relève des anciens monastères. Au reste, suivant l’exemple des missions chrétiennes, les bouddhistes avaient fondé des imprimeries pour soutenir leur effort de propagande. La première de celles qu’ils contrôlent est établie à Galle, en 1862, grâce à l’aide financière du roi de Siam. Il est significatif que la première œuvre importante sortie de leurs presses soit la traduction en singhalais des Questions de Milinda , traité p li paracanonique – une sorte de petit catéchisme où est relaté le dialogue du religieux bouddhique N gasena avec le roi indo-grec Ménandre, dialogue au terme duquel le monarque reconnaît la vérité de la Bonne Loi. Destiné à fournir des arguments contre les chrétiens, ce Milindapra ごnaya fut édité par Gu ユ nda en 1877-1878, à Ko レahena (aujourd’hui un quartier de Colombo).

Origine et caractéristiques

Dans l’évolution linguistique des idiomes aryens de l’Inde, le p li se situe au niveau ancien de la période moyenne, assez près, à bien des égards, du vieil indien. Mais il résulte d’un ensemble de menus faits que les fondements linguistiques du p li ne sont exactement identiques ni au sanskrit védique ni au sanskrit classique. Au reste, il conserve quelques archaïsmes. Les attaches géographiques du p li ont été très discutées, d’autant qu’il porte traditionnellement, à Sri Lanka, le nom de m gadh 稜 , «(langue) du Magadha»; l’appellation évoque cette région de la plaine orientale du Gange (l’actuel Bihar) où le Buddha a prêché la plupart de ses sermons: est-ce à dire que le canon p li est rédigé dans la «langue de base», telle que la parlait le Maître au VIe siècle avant J.-C.? Telle est l’interprétation des docteurs du therav da. Elle ne paraît pas recevable sous cette forme.

Si on le considère dans son ensemble, le p li n’offre aucun des traits phonétiques ou morphologiques qui caractérisent la «m gadh 稜» (du moins la m gadh 稜 classique, que l’on connaît). Au contraire, il est manifeste que c’est avec les parlers indo-aryens de l’Ouest que le p li présente les affinités fondamentales les plus nettes, tout en possédant d’ailleurs, sporadiquement, des formes orientales, évidemment traditionnelles. Que conclure? Le canon a-t-il été rédigé en une langue orientale, puis traduit entre autres en p li, idiome occidental? Ou bien admettra-t-on, avec plus de prudence, l’existence d’une «langue précanonique du bouddhisme» et de «récitations» en un ou plusieurs parlers orientaux, dont les diascévastes ont ensuite disposé pour l’élaboration de leurs canons? Quoi qu’il en soit, le caractère «occidental» du p li est, aujourd’hui, très généralement admis.

On voit la complexité de ces problèmes de langue, qui ne sont pas sans portée historique.

Si l’on considère la langue p li même, elle appartient, comme les pr krits, au stade dit «moyen-indien», nettement distinct – et pour la phonétique et pour la morphologie – du vieil et du néo-indo-aryen. La syntaxe est, dans l’ensemble, proche de celle du sanskrit, éloignée de la syntaxe des langues modernes. Le style, dans les développements en prose canonique ancienne, rappelle celui de la prose védique tardive. Les poèmes épico-lyriques, plus récents, s’inspireront de modèles en sanskrit classique. Quant au mètre, les portions versifiées du canon utilisent un assez grand nombre de types syllabiques connus en sanskrit védique et classique; elles adaptent le ごloka, mètre commun, en particulier, dans l’épopée, qui prévaudra massivement dans les compositions postcanoniques en vers. On a noté la très faible fréquence de l’ ry , un mètre qui, pourtant, paraît s’être développé d’abord en moyen-indien et qui a été fort en vogue dans l’Inde du Nord: sans doute n’a-t-il pas été cultivé à Sri Lanka. Cette remarque a des conséquences importantes pour la datation d’une part notable des récitations canoniques. Pour en juger, il faut également se rappeler que le rythme de l’indo-aryen a été extraordinairement stable et que les formules stéréotypées tiennent une large place dans les œuvres p li.

Malgré la survivance d’archaïsmes, la création de néologismes, le maintien systématique de doublets phonétiques et morphologiques, la grammaire p li est moins foisonnante que celle du sanskrit. Au total, les phonèmes sont moins nombreux et leur distribution est différente. L’opposition des voyelles longues et brèves est le plus souvent pertinente, la «lourdeur» de la syllabe étant d’ailleurs limitée à deux mores. «Tout le système ancien des voyelles et de leurs alternances est oblitéré, alors que l’armature consonantique a persisté tout en se réduisant» (Louis Renou); dans divers cas, néanmoins, des groupes consonantiques sont rétablis sous l’influence du sanskrit. À la finale, le mot présente toujours une voyelle, orale ou nasale: les hiatus ne sont nullement évités.

Le p li est une langue flexionnelle; par rapport au vieil indien, la morphologie est simplifiée, autrement organisée. Des catégories entières ont pratiquement disparu, d’autres sont très estompées. Le nombre des cas – celui des désinences nominales (et pronominales) ou verbales, celui des thèmes verbaux – est fortement réduit. La flexion vivante se fonde exclusivement sur des bases vocaliques. Le système des temps «est simplifié: il comprend le présent, le futur (ou le conditionnel) et un prétérit [...] Parmi les modes, le subjonctif est absent» (Jules Bloch). Les formes nominales du verbe sont fréquentes, en des fonctions très diverses. On note l’abondance des particules, un certain renouvellement du vocabulaire, enrichi de termes et de spécialisations techniques, et, souvent, quelque redondance dans l’expression où s’accumulent les «périodes» de synonymes et de compléments.

2. La littérature

Le p li est essentiellement la langue d’une importante littérature religieuse. Celle-ci comprend, d’abord, les Écritures canoniques, qui passent pour rapporter la Parole, ou l’Enseignement, du Buddha. Le canon aurait été en grande partie recueilli lors du premier concile (à R jag リha, Magadha), peu après la mort du Maître (survenue en 543 avant notre ère, selon le therav da, autour de 480 estiment les savants occidentaux). Quant aux écrits non canoniques, leur composition s’échelonne sur plus de dix siècles. Ce sont des commentaires, à divers degrés, de textes canoniques, des sommes, des résumés ou des manuels, etc.; des œuvres d’exégèse, des traités de grammaire, voire de médecine; des poèmes épico-lyriques, transposant la matière des chroniques religieuses.

Les «trois corbeilles»

Les textes essentiels sont naturellement ceux du canon, répartis, dira-t-on plus tard, «en trois corbeilles» (Ti-pi レaka ). Elles correspondent aux trois spécialités peu à peu reconnues dans la communauté: «discipline» (vinaya ), «texte(s)» de la Loi (sutta , ou s tra en sanskrit), scolastique (abhidhamma , ou abhidharma , «retour technique sur la Loi»). Or, «tandis que le Vinaya est seulement une convention adoptée comme ligne de conduite, le Dharma exposé dans les S tra représente la vérité absolue»: les s tra constituent «l’héritage commun à toutes les sectes»; quant à l’Abhidharmapi レaka, il «apparaît comme la systématisation, poussée dans le détail, des enseignements contenus dans les S tra» (Lamotte). Ainsi, l’essentiel de la «Loi» (Dhamma ) prêchée par le Buddha est contenu dans le Suttapi レaka.

Le Suttapi レaka comprend cinq «corpus», nik ya (dont les autres sectes bouddhiques ont plus ou moins la contrepartie). Le cinquième est quelque peu marginal. Les sutta sont des compositions autonomes, en prose simple où s’insèrent parfois des stances. Beaucoup sont présentés comme des discours du Buddha, en réponse à des interlocuteurs, religieux ou laïcs, qu’il instruit souvent à l’aide d’images et de comparaisons.

Le plus important des quatre premiers recueils est la «Collection des longs», D 稜gha-nik ya , trente-quatre sutta, répartis en trois groupes. Ils exposent discursivement les principaux points de la doctrine bouddhique ; ainsi, on y voit opposer l’éthique bouddhique et celle des doctrines rivales, retracer les Grands Exploits qui jalonnent la carrière de tout Buddha, ou encore relater, dans le Mah parinibb nasutta , la dernière année de la vie du Buddha Gotama, sa «totale extinction» et ses funérailles. Au reste, plusieurs des sujets traités dans le D 稜gha se retrouvent dans les autres «corpus». Ces sermons sont parfois un peu lents pour notre goût, qui en souffre mal les très nombreuses répétitions; cependant l’enseignement y est clair, humain, et plusieurs ne laissent pas d’être émouvants.

La «Collection des petits», Khuddakanik ya , dont la canonicité a parfois été contestée, compte quinze ouvrages, certains parmi les plus célèbres et, littérairement, les mieux venus de toute la littérature bouddhique. Les Birmans augmentent le recueil de plusieurs œuvres, en particulier des célèbres Questions de Milinda (Milinda-pañha en p li), «texte classique d’instruction doctrinale» dans la plupart des pays bouddhiques (Jean Filliozat); il est plutôt postcanonique.

Il semble que le noyau primitif de ces textes mineurs «ait été formé par des poésies psalmodiées» (Lamotte). Les plus fameux sont des livres de stances, surtout le Dhammapada , «Vers de la Loi», et, plus encore, les J taka , «Naissances» antérieures du Buddha, strophes accompagnées d’un «commentaire» en prose, non canonique.

Le Suttanip ta , «Ensemble de textes», regroupe des aphorismes sur la Loi, en vers, parfois accompagnés, selon un modèle ancien, par une narration explicative en prose; ou encore, des sortes de ballades où, de stance en stance, se répondent, par exemple, le Buddha et un interlocuteur naïf, en un contrepoint qui est comme une joute d’énigmes. Les Thera - et Ther 稜-g th , «Stances des doyens» et «des doyennes», recueillent de courts poèmes lyriques, rangés selon le nombre de leurs strophes: l’enseignement s’y mêle à des effusions plus personnelles, parfois pittoresques, souvent émouvantes.

Le Dhammapada compte 423 strophes de quatre pieds, rassemblées en vingt-six groupes, selon les affinités de la forme ou, plus fréquemment, de la matière. Les sujets sont quelquefois spécifiquement bouddhiques (sur le «nibb na», le «saint», par exemple); généralement, ils ont une portée morale (sur la vieillesse, le sage et le fou, la vigilance, etc.). L’instruction rejoint alors celle que dispensent d’autres littératures indiennes: celle des jaina, l’épopée ou le conte sanskrits, etc. Parce que cette poésie gnomique est le bien commun de toutes les sectes, certains savants ont cru pouvoir définir, en opposition avec la poésie védique, qui ne méprise pas les biens de ce monde, une «poésie sramanique», plus typiquement indienne, dont l’idéal est de renoncement et d’ascétisme. Les stances du Dhammapada ont été l’occasion d’un commentaire en prose, qui en illustre les enseignements par une multitude de récits savoureux.

C’est un peu la même structure qu’ont, en fait, les J taka . Toutefois, il est habituel de les présenter différemment: les stances, seules canoniques, sont reliées et introduites par le commentaire, en prose, et de maints siècles plus récent. Celui-ci est double: il est constitué, d’une part, de gloses grammaticales, d’autre part, et principalement, de récits très vivants, dont le sujet est souvent éloigné de celui des strophes qu’ils sertissent. Le cadre des J taka est constant: tel événement de la vie présente du Buddha s’explique par tels faits d’une «vie antérieure», alors qu’il était bodhisatta («Être d’Éveil»), homme ou animal. Ces faits font l’objet de la narration, plus ou moins circonstanciée, qui s’achève par l’identification des personnages du passé avec ceux du présent.

Ces récits, pittoresques, familiers, où s’est intégré le riche folklore indien, ont joui d’une extraordinaire popularité en Inde, à Sri Lanka et dans l’Asie du Sud-Est, où, durant plus de vingt siècles, ils ont inspiré peintres et sculpteurs. Ils ont été traduits dans les différentes langues vernaculaires. À Sri Lanka, ils ont fourni la matière de l’instruction dispensée par les bonzes dans leurs prêches et dans leurs écoles, ils ont été la source de la plupart des œuvres littéraires en singhalais, et, de nos jours encore, ils sont connus de tous. Dans les pays occidentaux de la presqu’île indochinoise, le J taka est devenu un genre littéraire très productif: la collection a été amplifiée, incorporant les légendes et les coutumes locales; les récits en ont été transposés dans le théâtre d’ombres. Les juristes birmans s’y réfèrent, et l’on a pu dire des J taka qu’ils étaient la «Bible» de la Birmanie.

On voit l’importance de la Corbeille des Sutta . Même des recueils les moins fameux il est resté des extraits: des sutta qui survivent comme charmes de «protection» (Paritta ).

La Corbeille de la «discipline» (Vinaya ) gravite autour de deux types de préoccupations: les fautes à éviter, les cérémonies à accomplir. Le Vinaya p li comprend trois parties principales: la liste des manquements (P レimokkha ), enchâssée dans une narration (l’exposé des circonstances dans lesquelles le Buddha a formulé l’interdiction, etc.) et accompagnée d’un très vieux commentaire littéral; les «sections» qui définissent, en les illustrant, les règles monastiques; enfin, un appendice. Le Vinaya , rédigé presque entièrement en une prose relativement simple, fait assez grand usage de termes techniques de la discipline monastique. Il fournit maintes indications authentiques sur la vie de la communauté, en sorte qu’il se lit avec plaisir.

Qu’il ait été ultérieurement extrait du Vinaya , ou qu’il en constitue le noyau primitif, comme on le pense en général, le P レimokkha a aussi statut de texte indépendant: il est récité, aujourd’hui encore, lors des cérémonies de confession que tiennent les communautés bouddhiques, en particulier aux vigiles de la pleine et de la nouvelle lune.

Si essentiel que soit l’Abhidhamma pour la connaissance systématique du therav da, cette Corbeille, nettement plus récente que les deux précédentes, a une bien moindre saveur littéraire. Elle procède «par énumérations et sommaires, par questions et réponses». Elle comprend sept livres qui s’emploient à «classer systématiquement les phénomènes psycho-physiques déjà exposés dans les s tra» et à «préciser les relations qui les unissent» (Lamotte).

Les commentaires

Des commentaires en prose, on l’a vu, ont été très vite étroitement unis au canon, au point d’y avoir été parfois intégrés (Vinaya ) ou d’avoir beaucoup contribué à la popularité de certains recueils (J taka ). La littérature des commentaires allait prendre, à Sri Lanka et en Birmanie, une extension considérable. Deux grandes étapes peuvent être distinguées: l’époque des commentaires du canon, au Ve siècle; ensuite, amorcée tôt, mais particulièrement brillante vers les Xe-XIIe siècles, une période de sous-commentaires ( レik ). Les Birmans participent à cette activité dès le XIe siècle.

La doctrine des Livres canoniques codifiés en p li par les religieux réunis en synode à l’ loka-vih ra, au Ier siècle avant notre ère, était expliquée dans des commentaires fondés sur la tradition, mais rédigés en vieux singhalais et ignorés, semble-t-il, hors de Sri Lanka. L’enseignement qu’ils contenaient ne parvint à se diffuser hors de l’île qu’après avoir été transposé en p li. Ce fut, au Ve siècle, l’œuvre de très grands religieux, dont plusieurs sont venus du continent indien. Le plus brillant et le plus vénéré d’entre eux, parfois à l’égal du Buddha, est Buddhaghosa, un brahmane originaire de l’Inde du Nord, figure rapidement devenue légendaire, érudit génial. Sa première œuvre a été probablement cette encyclopédie systématique du bouddhisme qu’est le Visuddhimagga , «Chemin de la pureté». Les commentaires qu’il écrivit pour maints livres du Tipi レaka ont eu valeur canonique. L’importance de celui qu’il a consacré au Vinaya est considérable; en Birmanie, où le nom de Buddhaghosa, précisément, est donné à l’un des premiers juristes, il a influencé l’élaboration des anciens codes de lois (dont le vocabulaire même conserve l’empreinte p li).

Buddhaghosa a magistralement contribué à faire connaître la tradition qui lui avait été confiée, et qu’il a respectée scrupuleusement: celle du Mah vih ra («Grand Monastère») à Anur dhapura, celle-là même qui, après plusieurs siècles de luttes, réussit, au XIIe siècle, à éliminer ses rivales et à s’imposer à Sri Lanka, puis, dans une grande mesure, en Birmanie.

Il serait oiseux d’entrer dans le détail de cette énorme littérature de commentaires, de résumés, de sommes. On notera la fortune du Vinaya et de l’Abhidhamma , qui sera très abondamment commenté, du VIIe au XIe siècle, par les docteurs singhalais, puis, après le XIIe siècle, dans les monastères birmans.

Les «lignées»

La collection des textes canoniques «mineurs» comprenait un représentant d’un autre genre littéraire, celui des va ュsa , glorifications de «lignée», dont la vogue s’est instaurée à Sri Lanka dès les IVe-Ve siècles. Ce sont des poèmes qui élaborent, semble-t-il, d’anciennes chroniques religieuses. La matière, mi-légendaire mi-historique, est traitée en partie sous l’inflence des compositions épico-lyriques sanskrites. Ces poèmes se multiplient à partir du Xe siècle. Le plus connu, le Mah va ュsa , la «Grande Lignée» des rois de Sri Lanka, remanie avec bonheur, dans ses premiers chants, une chronique maladroitement versifiée du IVe siècle. Le Mah va ュsa a été composé en plusieurs temps: commencé aux Ve-VIe siècles, il est continué au XIIIe par Dhammakitti, à la demande du souverain alors régnant. L’auteur se plaît à chanter, en les stylisant à la manière sanskrite, la vie et les exploits du grand roi national Parakkamab hu Ier (XIIe s.). Des additions sont ultérieurement apportées à cette chronique, qui retrace l’histoire de l’île jusqu’en 1758, puis jusqu’à 1815, date où les «Ingir 稜si» (Anglais) entrent en possession de tout Sri Lanka.

Reprenant ce genre littéraire, les religieux de la péninsule indochinoise composeront des poèmes sur l’histoire des lieux et des statues sacrés. Au XIXe siècle encore, les Birmans glorifieront les Écritures bouddhiques, la Doctrine, etc.

Traités techniques et florilèges

Il est impossible d’analyser ici la littérature technique en p li: traités de métrique, de lexicographie, de grammaire surtout, destinés à faire prendre une meilleure connaissance des Écritures. Déjà Buddhaghosa se réfère à des systèmes grammaticaux élaborés avant son époque. Au XIIIe siècle, deux grandes ècoles s’étaient imposées à Ceylan: elles ont eu, en Birmanie, des élèves remarquables.

Cette masse imposante de littérature a été, pour une large part, traduite en singhalais et dans les diverses langues de l’Asie du Sud-Est, paraphrasée, résumée. On a vu qu’elle a été étudiée avec ardeur par les Birmans, qui ont rédigé en p li des traités et des manuels de vinaya, d’abhidhamma et de grammaire. Les Birmans ont, en outre, fait du p li un usage original: tout en lui laissant le caractère d’une langue noble, ils l’ont parfois comme sécularisé. Dès la fin du XIIe siècle, les Môns avaient, en «s’inspirant des Dharma ご stra brahmaniques, composé soit dans leur langue soit en p li des traités de droit, dhammasattham » (Robert Lingat); ceux-ci ont pu ensuite se diffuser dans la péninsule: les Thaïs, infiltrés dans le bassin du Ménam, paraissent en avoir eu connaissance.

On doit encore aux Birmans la traduction du sanskrit en p li de sentences, réunies en florilèges. Le plus ancien, semble-t-il, et le plus connu invite à réfléchir sur l’expérience pratique, la «conduite du monde» (Lokan 稜ti ). De Birmanie, les aphorismes se sont transmis à tous les pays occidentaux de la péninsule indochinoise, y ont été goûtés, traduits dans les langues locales: ils ont largement contribué à la formation des recueils de «beaux dits», par quoi s’exprime, aujourd’hui encore, la sagesse de ces nations.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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